Blanche est la page, noires sont les ténèbres qui s’abattent encore sur l’Ukraine. S’exprimer sur le sujet… n’est-ce pas un acte redondant, vain et inutile ? Nous touchons aux limites de la poésie. Notre impuissance nous pousserait à garder le silence, par peur d’être ridicule… Mais n’est-ce pas précisément ce silence qui entache la poésie aujourd’hui ? La guerre est un acte extrême qui interroge tout un chacun, le poète se sent coupable et ressent la nécessité de s’exprimer. Et voici quelques mots de plus dans le néant de la parole. C’est cette capacité à s’élever au-dessus des nuages, pour contempler le monde, qui manque à la poésie. A quoi bon ? Il y a une forme de renoncement sur le front du poète : les défis que nous propose la société sont bien inaccessibles pour nous poètes de la rime… Je connais une autre guerre : celle que nous impose le quotidien, sur laquelle nous avons une emprise, et ce serait renoncer à notre liberté et à notre devoir de l’ignorer ici-bas ! Qui peut arrêter un dictateur ? Enrayer les rouages des tanks russes sinon un char ukrainien ? Et les enfants meurent sous les bombes, car on leur avait dit de rester à l’abri ! Innocence coupable… un gamin dans la rue ! Je ne savais pas que la parole en Russie était muselée à  ce point ! Que la presse était censurée, réprimée dans le sang et que le simple fait d’être présent dans une manifestation pouvait vous conduire en prison ! Hélas, nous en sommes là. Nous devons à nos amis russes la vérité sur la Russie. Ce sont nos compagnons qui sont emprisonnés, des poètes comme nous, aussi désespérés de ne pouvoir changer la vie ! Nous, nous avons nos revues, une forme de liberté totale. Nous devons opposer au silence le fracas, le bombardement des mots. Partout où la résistance est possible, à chaque coin de rue où le poète peut se poster, il convient de prendre le pouvoir. Jeunesse ! Ne désespérez pas du monde car vous n’en avez qu’un ! Vos mots ont le pouvoir de l’or. Vous avez dans les mains des libertés chèrement acquises ! Nous avons besoin de vous pour saboter la machine infernale de la tyrannie. Nous qui avons la chance d’être des citoyens libres, devons nous poser la question de notre engagement. Il n’est pas vrai que nous soyons impuissants. L’esprit français porte les valeurs de l’humanisme. Etre poète aujourd’hui implique d’être citoyen du monde. Nos valeurs sont partagées dans les pays les plus lointains. C’est cet horizon qui doit nous guider dans notre recherche de sens. Nous n’écrivons pas seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour être un fragment, un morceau de cristal dans les mains du monde. Je crois que ces valeurs peuvent essuyer notre désespoir. Et nous pouvons trouver du sens dans une action quotidienne. A nous d’imaginer un futur au sein même de la poésie, pas pour nous… mais pour nos frères morts au combat.

 

 

Daniel Brochard