Science et Poésie par Éric Chassefière

 

La poésie est avant tout pour moi un acte de vie. J’ai besoin d’écrire pour me sentir vivant, tisser un lien charnel avec le monde. Un désir d’appartenance, qu’on pourrait qualifier d’amoureux. J’ai longtemps écrit exclusivement dans la nature, l’été, sur le lieu d’enfance, submergé par le sentiment d’une beauté dépassant mon entendement, que par les mots je tentais d’atteindre et me réapproprier. Il y avait déjà ce plaisir sensuel à faire naître les mots du corps, de sa vibration profonde, faire corps du poème, entendre et ressentir à travers lui. C’est ainsi qu’est né mon désir d’écrire, retrouver sous la caresse des mots l’enfance perdue, mon jardin d’Eden. Ce désir d’écrire répond chez moi avant tout à une nécessité impérieuse, ressentie au sortir de l’adolescence, de me réaccorder aux mouvements de la mère nature, mère mais aussi femme, souffle, mémoire. Cette nature n’a pas été celle du ciel étoilé, même si j’ai fait pour ma vie professionnelle le choix de la recherche en astrophysique (plus précisément en planétologie), mais celle du jardin d’enfance, de l’arbre en particulier dont le bruissement est inscrit au plus profond de mon être. Les étoiles qui m’éclairent sont terriennes. Je n’ai pas éprouvé le besoin d’établir au quotidien un lien entre mes deux activités de recherche et d’écriture poétique, qui sont restées disjointes, mon cosmos d’élection n’étant pas celui des astres. Je ne parle pas de science dans mes poèmes, et la science que j’ai pratiquée ne doit rien à mon amour de la poésie, même si l’imagination, qui m’a poussé quelquefois vers des interprétations de phénomènes un peu hasardeuses au regard des données d’observation disponibles, en constitue un déterminant commun. Je suis cependant persuadé, comme l’a montré la belle expérience d’accueil en résidence de poètes dans des laboratoires scientifiques à laquelle m’a associé Jacques Fournier (Poézience), que la science peut constituer un domaine d’expérimentation poétique intéressant. Nous avions, avec Jacques, identifié quelques connexions générales entre science et poésie : « La science, et plus particulièrement la science fondamentale, peut être rapprochée de la poésie à plusieurs égards. Elle n’est pas directement appliquée, et ses retombées ne se feront sentir que plus tard. La démarche de la pratique poétique s’inscrit également dans le long terme, avec des retombées sociétales pour l’éducation des plus jeunes, une meilleure appropriation de la culture par les citoyens à travers la pratique de l’écriture poétique (accessible à tous), un fort potentiel de rapprochement entre cultures différentes. Tout comme la science, la poésie est universelle et rapproche les peuples. En termes de communication, chacune des disciplines peut bénéficier de l’autre en permettant un questionnement simultané du scientifique et du poète (c’est vrai également de l’artiste) par le public ». Il est certain d’autre part que la cosmologie, avec ses énigmes et son questionnement sur les origines, peut être vue comme une transposition au monde physique de notre univers intérieur, tout aussi abyssal et mouvant, et favoriser le développement d’un discours poétique à portée universelle. Pour terminer, la petite quarantaine de mes recueils publiés peut être trouvée chez Yvelinédition, Rafael de Surtis, Éditions de l’Atlantique, Alcyone, Interventions à Haute Voix, La Porte, L’Harmattan, Sémaphore, et également dans une quarantaine de revues, les détails étant accessible dans la rubrique Un ange à notre table de la revue en ligne Terre à Ciel.

 

*** 

 

Correspondance avec Éric Chassefière

 

Cher Éric,

 

Merci pour votre lecture qui a mis en joie Catherine. Je me suis permis de lui donner votre adresse mail car elle voulait vous remercier pour cet article qui l'a touchée. Il faut savoir regarder le ciel pour savoir d'où l'on vient, qui l'on est, et où l'on va. C'est une dimension importante de la poésie selon moi. Cette petite vie dérisoire peut aller vers la contemplation des domaines voilés de l'Univers, ou sombrer dans le chaos et l'ennui, choses que l'on nous sert volontiers pour nous endormir. Mais nous restons debout, et s'il le faut dormons debout ! Ce vaste domaine qu'est l'inconscient n'est-il pas comparable aux mystères de l'univers ? Si fragile est notre existence, si bancales sont nos vies ! Le ciel qui m'a toujours inspiré ! A dix-sept ans, j'avais un télescope. J'ai vu Orion, Cassiopée, les Pléiades... Et puis j'ai décidé de m'occuper de cette terre, sans oublier le ciel qui nous entoure. Quel souvenir que celui de mon premier regard dans une lunette astronomique ! L'aliénation que représente le quotidien terrestre me fait vomir et me révolte. Partout le travail humain, sorte de fourmilière sans fin... Il faut vivre pour alimenter une machine qui souvent nous asservit, nous condamne à l'obéissance... Mais l'on sait qu'un jour on rejoindra le ciel après avoir délivré un message aux générations futures. Le combat terrestre a toute sa valeur dans l'espace de l'univers... Ce que l'on fait sur cette petite planète sera vu et su par d'autres civilisations, et nous aurons honte de l'espèce humaine ! Reste la science et l'art qui nous sauvent ! Le poème, cet espoir dérisoire de ne jamais lâcher prise, nous donne tout le sens que la vie nous refuse. Il y a quelques phares pour éclairer la nuit contemporaine... Beaucoup meurent en nous laissant seuls. Nous avons besoin de lumière dans cette obscurité ! C'est le but de toute activité artistique. C'est la finalité de la science. Parce que nous sommes un tout dans l'univers et ne sommes pas limités à une cave obscure, nous avons besoin de ce sens que nous apportons au monde. "Chargé des étoiles..." le poète sera à jamais le plus grand explorateur.

 

Amitiés poétiques,

 

Daniel Brochard

 

 

Cher Daniel,

Catherine Andrieu m’a en effet écrit hier, et vous avez eu tout-à-fait raison de lui communiquer mon adresse mail. Nous avons, elle et moi, un éditeur en commun, Paul Sanda, à qui je dois beaucoup. Il a été le premier, avec Michel Cosem, à me publier il y a une dizaine d’années. Je sais qu’il s’intéresse à l’astrophysique. Il avait publié il y a quelques années une interview de Jean-Pierre Luminet dans sa revue Mange-Monde, arrêtée depuis. Je partage complètement votre rejet de la société consumériste et avilissante dans laquelle nous vivons, même si j’ai la chance, de par mon travail, de ne pas faire partie de ceux qui se tuent à des tâches sans intérêt pour gagner à peine de quoi vivre. La poésie est belle, comme l’astrophysique, parce qu’elle est difficile, et ce qui est difficile, dans ce monde d’échanges toujours plus rapides d’informations, ne s’exporte guère en dehors des petits cercles de pratiquants fidèles. L’espoir dérisoire du poème, comme vous l’appelez, est notre force, c’est ce qui fait la beauté de la poésie. Mais les phares que vous évoquez ne brillent, malheureusement, que pour ceux qui savent voir leur lumière. Ni la science, dont la culture manque cruellement à nos jeunes, ni la poésie, qu’ils ignorent complètement de par son absence dans les médias, ne brillent aux yeux de la plupart de nos concitoyens. Heureusement, il n’y a pas que la science et la poésie, et la culture sous toutes ses formes est quand même très présente dans la société française, plus qu’ailleurs probablement. Certes, la poésie peut individuellement nous sauver, mais elle ne peut être suffisante pour sauver le monde de la perte vers laquelle, on peut le craindre, il court à grands pas. Des gens comme vous, qui montent des revues et propagent la poésie, tentent désespérément de faire mentir ce constat pessimiste, entretenant une lueur d’espoir à laquelle il nous faut nous accrocher. Donner du sens à sa vie et au monde, se battre sans relâche, c’est certainement ce qu’il y a de mieux à faire, et pas seulement en poésie bien sûr. C'est la condition pour exister, tout simplement.

Amitiés.

Éric.

 

 

 

Cher Éric,

 

Je sais pourquoi vous êtes poète et pourquoi j'ai eu le plaisir de vous publier dans Mot à Maux, car vous êtes une âme éclairée, comme ces étoiles que l'on ne contemple que la nuit ! Votre analyse est pertinente, si pleine de lucidité ! Après vous avoir lu, on devrait se taire et admirer les beautés du Cosmos, oublier ce monde des hommes pris dans la futilité de l'existence. Je crois qu'après avoir lu votre message que personne ne lira (?) le silence s'impose. 

 

Je vais transformer mon site Dans les brumes en lieu d'information et de combat pour la poésie. Avec deux axes principaux : la dénonciation du compte d'auteur abusif et le projet de création de maisons de la poésie sur tout le territoire. Editeurs et revuistes seront amenés à témoigner. J'étais parti pour un numéro hors-série de Mot à Maux, mais la complexité de rassembler tous les témoignages m'en a dissuadé. Je compte sur Internet pour lancer cette nouvelle aventure, où les poètes aussi seront appelés à participer. Toutes les collaborations seront les bienvenues.

 

Ce sont peut-être les utopies qui sauveront le monde d'un chaos sans précédent. Ne pas entrer dans la lumière sans combattre ! (Qui a dit cette phrase magnifique ?) Quand on regarde les étoiles, le monde nous fait peur, par les ténèbres qu'il engendre autour de lui. Nous manquons de perspective et d'espoir. Et pourtant, je m'y accroche comme un meurt-de-faim. En quoi Internet s'est-il transformé ? N'est-ce pas le monde des puissants qui s'exprime... Qui sommes-nous ? Internet est une entreprise commerciale à la gloire du capitalisme triomphant. Les moutons sont bien gardés, dans leurs clôtures électrifiées. Où est l'espace de la rébellion qui inspire le poète ? Où est la force du témoignage ? Incisif, décisif... Le poète lui-même est appelé à se taire et les grands médias n'y arrangent rien ! Internet ? Une vaste entreprise du silence ! Et pourtant, je m'inspire, je me nourris de tout ce qui fait la beauté et mène un combat selon mes principes adolescents ! Quelle est notre destinée ici-bas ? Toutes ces questions ont-elles un sens dans un monde de vitesse et de compétition ? 

 

J'ai le sentiment d'avoir des combats à mener, peut-être plus fortement que d'autres, car toute ma vie j'ai mené cette lutte contre la maladie. Aujourd'hui la poésie, dans toute sa diversité est devenue mon seul crédo. C'est une identité que l'on ne peut pas fractionner, quand la maladie, elle, vous brise entre ses doigts. J'assume cette diversité, sans être dupe... Tous les poètes ne sont pas des révolutionnaires. Nous avons tous été débutants, chacun dans son histoire personnelle. Il faut des années et beaucoup de sueur pour grandir ! Participer de ce combat, voilà une motivation qui m'est devenue chère et indispensable. La poésie ne changera pas le monde, mais elle peut éclairer la vie. Nos luttes ont un sens, où que nous soyons.

 

Amitiés poétiques,

 

Daniel Brochard

 

Cher Daniel,

Oh, vous savez, j'essaie juste de dire des choses raisonnables, et ce que j'essaie de dire, il me semble que vous le dites aussi bien, sinon mieux. J'admire votre détermination et votre énergie. Vous êtes un lutteur, la poésie a besoin de gens comme vous. C'est vrai qu'il faut beaucoup de temps pour grandir, en quoi que ce soit, et je vous avoue que j'ai souvent l'impression d'être encore terriblement loin du but. En ce qui me concerne, j'ai un rapport étrange à la poésie, un peu dépressif, cyclothymique : exaltation extrême dans le temps de l'écriture, puis perte d'intérêt, éloignement au point de ne plus même comprendre mes propres écrits. Puis cela revient, toujours par la sensation, le désir de me fondre aux éléments, dans une extrême jouissance, une extrême solitude aussi. Peut-être qu'au fond, je recule devant la responsabilité de m'assumer complètement poète, d'en faire mon seul crédo, comme vous dites. La poésie, c'est tellement mouvant, profond...

Je suis prêt à participer à votre démarche, ou au moins essayer, si vous avez besoin de collaborations. On ne peut pas passer son temps à se battre avec soi-même, il faut bien sortir de ce cercle vicieux, et bien sûr vous en savez quelque chose. N'hésitez pas à me solliciter si nécessaire.

Avec mes amitiés.

Éric.