Entretien avec Flora Delalande

 

Daniel Brochard : Vous alliez à la fois l’amour de la nature et celui de la poésie. On sait aujourd’hui les dommages causés à l’environnement : n’y a-t-il pas un rapport entre l’état de la planète et celui de la poésie contemporaine qui se désolidarise d’un quelconque engagement sur les questions d’actualités, les plus diverses soit-elles ?

 

Flora Delalande : Je serai bien en peine de trouver réponse à cette question. Mon rapport à la poésie comme aux plantes est un rapport de l’infime, du quotidien. J’interroge, par exemple, la présence des plantes, leur comportement, les correspondances que l’on peut imaginer avec ce que nous sommes, nous, humains.

L’arbre perd-il ses feuilles ou bien les libère-t-il ? (visionnez « Elles s’envolent », si cette question vous intrigue). Ce coquelicot qui pousse dans la friche n’a-t-il pas quelque chose à nous dire ? Les plantes qui jaillissent dès février dans les interstices des trottoirs ne sont-elles pas le gage d’une nature qui, même au plus gris des villes, ne s’en laissera pas compter ?

J’aime porter sur la nature – celle des grands espaces ou celle, résiliente et abîmée, des villes – un regard double : celui de la scientifique et celui de la poète. Apprendre à connaître les plantes, rêver un peu avec elles est peut-être le premier pas pour les respecter à leur juste valeur.

 

La nature est consumée par l’urbanisation et la destruction de la biodiversité. Un défi lancé à l’humanité. Nous semblons bien impuissants face à ce drame : la poésie n’est-elle pas aussi en danger ?

 

Je ne crois pas. La poésie est comme cette plante sauvage qui repousse toujours, que ce soit ici ou là-bas. Personnellement, je m’emploie chaque jour à la semer. Ce matin, c’était dans l’oreille des tout petits, au sein de l’association montreuilloise « l’Oasis des familles », la semaine prochaine je retrouverai les apprentis écrivains d’un lycée professionnel pour écrire, demain, peut-être dirai-je un poème à un inconnu dans la rue ou bien peut-être appellerai-je quelqu’un pour lui offrir un poème au téléphone (pour tout savoir des « Poèmes à domicile », c’est ici). Et, fort heureusement, je suis bien loin d’être la seule semeuse ! Et puis, de toute façon, le soleil déposera sa main sur le reflet de la gouttière, une gamine s’arrêtera pour regarder un écureuil sauter de branche en branche, un graffeur graffera un mot bleu sur un mur gris. La poésie est peut-être trop multiforme et quotidienne pour être en danger : tout le monde peut s’en emparer. Le tout est d’y être attentif et de la cultiver.

 

La poésie souffre de l’indifférence des hommes. Le poète rêve de gloire et de reconnaissance. Peut-on rêver pour lui que la poésie soit reconnue en tant que forme culturelle à part entière, ou bien doit-elle continuer de vivre dans l’autarcie à laquelle la société l’a condamnée ?

 

« On ne peut se permettre de rêver que sur soi-même », disait Julos Beaucarne. Je ne saurais mieux dire pour ce qui est de savoir si l’on doit rêver de quelque chose « pour le poète ». Le poète est aussi multiforme que la poésie et aucun n’a, dirais-je, le même rêve que son voisin.

Il est vrai que la poésie n’a pas de lieux dédiés et répandus comme peuvent en avoir le théâtre, le cinéma ou la danse. Cela pose certains problèmes mais cela lui permet aussi de sortir des sentiers battus. Un exemple ? Depuis plus de trois ans maintenant j’anime en Normandie, Île-de-France et Baie de Somme des balades botaniques et poétiques au cours desquelles, tout en prodiguant des informations sur la reconnaissance et les usages des plantes sauvages, je dis des poèmes et crée, avec le public, des instants poétiques. Je sème les poèmes en plein air, touchant ainsi un public qui ne serait peut-être jamais venu dans un lieu où la poésie aurait été nommée, institutionnalisée. Ces balades botaniques et poétiques sont vraiment le cœur vibrant de ma vie de poétesse-cueilleuse et je suis ravie qu’elles reprennent de plus belles avec le printemps. (pour découvrir les dates, c’est ici)

 

Le jardin du poète n’est-il pas aussi aujourd’hui le monde lui-même ? Le poète peut-il sortir de ses ornières ? Peut-on rêver d’un autre horizon pour la poésie, alors que celui-ci s’obscurcit considérablement ?

 

L’horizon de la poésie, c’est celui que nous lui bâtissons chaque jour. Si nous voulons qu’elle envahisse le monde, peut-être faut-il tout simplement commencer par la dire, la lire, l’écrire, la peindre et la chanter. Je dois beaucoup à un ami qui, un jour, m’a dit un poème, les yeux dans les yeux. C’est suite à cette si belle expérience que j’ai eu envie d’offrir la même chose et que je me suis mise à apprendre et dire des poèmes aux gens. Sans doute mon métier de poète plonge-t-il en grande partie ses racines dans cet instant de poésie suspendu.

Quant au jardin du poète, il est partout. Georges Duhamel a de très beaux mots sur cette question : « Quand je n’avais pas de jardin, je regardais fleurir les fables dans les bosquets du Luxembourg. J’en ferai pousser dans un pot sur le rebord de ma fenêtre ».

 

Ah ! Une dernière chose ! Si certains des lecteurs ont envie de semer, eux aussi, des graines de poésie et d’imaginaire en pleine nature, je propose cette année deux stages :

- « Semeuses et semeurs d’histoires », un stage Conte, imaginaire et plantes, avec le conteur Philippe Sizaire, en Bretagne, sur un long week-end de juin. Toutes les infos ici.

- « Chants et Flore sauvage », un stage alliant reconnaissance des plantes, cueillette, cuisine et chants inspirés du souffle et de la nature, avec la chanteuse Fanny Perrier-Rochas, dans le Vexin, sur un long week-end d’avril. Toutes les infos ici.