Méditation sur l’art de publier.

 

Une amie me propose en 2013 de créer une petite maison d’édition en devenant responsable d’une collection poésie. J’accepte. C’est ainsi que je suis conduit à la lecture de manuscrits. Nous décidons de publier deux recueils par an (ce qui est fort peu) un écrit par une main féminine et un par une main masculine. Nous décidons également de ne pas avoir de ligne directrice pour nos choix, de ne pas cumuler les possibilités d’édition, ni de donner de raisons au refus.

Nous recevions environ une cinquantaine de manuscrits annuellement et c’est ainsi que j’en refusais de nombreux.  Je prévenais du refus, bien entendu (souvent tardivement) assurais les retours lorsqu’ils étaient demandés.

 

Je suis donc éditeur. Ce qui veut dire que des auteurs me font confiance en me proposant de lire leurs poèmes. Même si… de nombreux manuscrits nous parviennent alors que les auteurs visiblement ne connaissent pas les éditeurs ni les éditions. Ce n’est pas un reproche : il est si difficile de trouver aujourd’hui un éditeur de poésie.

 

En amont, je me pose toujours la question de :

 

La responsabilité : dois-je dire oui ou non à l’édition de tel recueil ?

La légitimité : suis-je celui qui doit lire ? Suis-je le bon lecteur pour tel ou tel manuscrit ?

L’expérience : au nom de quel critère est-ce que  je fais tel ou tel choix ?

 

La réception :

 

La parole confiée.

Le plaisir d’être parfois l’un des premiers lecteurs.

Mais,

L’accumulation des manuscrits.

La lecture et le classement pour la plupart dans la colonne titrée : NON.

Le plaisir pour 2 par an de dire : OUI. Le bonheur d’annoncer la publication du manuscrit à son auteur.

Les regrets de la non publication pour un grand nombre.

 

Et pour ce dernier point, évidemment ce droit de refus me pose toujours question. J’ai le sentiment de trahir une confiance accordée, pour les manuscrits de qualité.

Pour un certain nombre, dont j’aurais fort bien choisi la publication ; la raison du refus, bien sûr, était que nous ne publiions que 2 livres par an. Pour d’autres qui ne m’avaient pas séduit, j’espérais qu’ils trouveraient un autre éditeur dans les meilleurs délais.

 

Ensuite, concernant l’édition des manuscrits, ce n’était que du bonheur : corrections, mise en page, choix de couverture, impression. Pour une parution en avril ou mai.

En tant que micro éditeur, malheureusement, pas de distribution/diffusion. Mais, pour p.i.sage intérieur, il y avait deux rendez-vous organisés : l’un au Marché de la Poésie de Paris, au mois de juin, pour des dédicaces, l’autre à Dijon, dans le cadre de la manifestation poétique TemPoésie au mois d’octobre.  C’était nos modestes possibilités de défendre les œuvres éditées.

 

 

Notre fierté a été le choix de deux manuscrits dont les publications ont obtenu trois prix : Alexandre Billon, le prix des Découvreurs pour lettres d’une île en 2017 et Mathilde Vischer, le prix Louis Guillaume et le prix Terra Nova pour Lisières en 2014.

 

Actuellement notre maison d’édition est en arrêt pour raisons personnelles de l’équipe, depuis 2020.

 

Pour ce qui me concerne, si cette aventure doit cesser, je continuerai à lire et dire la poésie, ce que je fais depuis plus de 5 décennies ; et à écrire également. La poésie est une joie du souffle, l’évident bonheur de respirer. Cette affirmation de G. Bachelard m’accompagne depuis bien longtemps.

 

Je me souviens que le comédien et écrivain, Daniel Gélin avait réalisé une sorte d’anthologie de Poèmes à dire, livre préfacé par Jean Vilar. Ce serait bien l’un de mes projets. Bien souvent lorsqu’on me demande quel est mon poète préféré, je réponds : plus que des poètes j’ai des poèmes préférés. Une anthologie de poèmes à lire et à écouter, sera l’un de mes futurs projets, je le souhaite. C’est assurément une manière de permettre à la poésie d’élargir un peu sa connaissance, en tout cas dans notre pays.

 

Elle est plus présente qu’on ne pense, mais elle n’est pas réellement identifiée.

 

Lorsque le monde est victime d’une catastrophe, plus d’une fois les vers des poètes   sont mis en avant pour en franchir la souffrance… Et parmi les plus célèbres, ces vers de d’Apollinaire : Faut-il qu’il m’en souvienne / La joie venait toujours après la peine.

 

J’ai réalisé des balades/lectures, récemment, dans les campagnes près de quelques bibliothèques de Franche-Comté. Moments merveilleux, public ravi, associant la promenade, la beauté des paysages et l’énergie de la poésie (qui ne dépense que des gaz à effet de vers). Les participants étaient mélangés du lecteur averti à celui qui ne s’intéressait pas du tout à l’univers poétique.

Il y a des années, j’ai réalisé des Poèmes/murmurés dans le hall d’une gare, entre arrivée et départ. Ce fut toujours un événement heureux pour le public. Une autre expérience sous un marché couvert : surpris, entre l’achat des légumes et des fruits, le public se laissait volontiers glisser un court poème à l’oreille. Et pendant « la lecture secrète », le sourire naissait sur les lèvres de celle ou celui qui écoutait. Bien entendu, les enfants étaient les premiers à vouloir en profiter.

 

En somme, « l’art de publier » c’est cela : faire en sorte que la poésie soit présente en toutes circonstances, et pas seulement entre les pages d’un livre ou les clics d’un site, même s’ils en sont la colonne vertébrale.

 

La poésie est un art vivant qu’il est nécessaire de faire surgir en chacun et en soi, par le corps et la voix.

 

 

Yves-Jacques Bouin