ÉCRIRE TOUJOURS

 

 

La littérature est faillible parce qu’elle s’arrête. Elle est faillible comme son contenant, comme la main qui tient le stylo, comme celui ou celle qui ne sait pas où finira le chemin.

Il faudrait écrire encore et encore, mais trop de cœurs s’usent, trop de mains glissent après le stylo, trop d’yeux s’éteignent et les pages s’en accommodent.

C’est de cette mort qu’il me faut parler, cette mort problématique du verbe et de ce qu’elle enfouit avec nous.

L’été où j’ai lu Proust, j’ai compris cela, qu’il y a une fin, et que pourtant, on pouvait y croire, croire que rien ne s’achèverait, qu’il y aurait toujours une suite ininterrompue de la parole écrite.

La littérature, c’est ça, au fond, ça ne s’arrête pas, il faut continuer, il ne faut pas cesser de dire, il ne faut pas mettre un terme. Parce qu’alors, nous serions ce vide autour duquel nous achevons de tout oublier.

Nous écrivons avec des silences, avec ce qui s’est tu et qu’il nous faut faire renaître. Chaque écrivain ou poète sait cela. Il le sait vite et déjà le temps lui est compté.

Finir d’écrire, c’est comme ne plus respirer. C’est s’approcher de l’abîme.

Nous sommes le fragile qui veut durer. Nous nous adressons à nos sens. L’écriture, c’est bien sûr la vie qui ne renonce pas, mais, à la fin, le néant est toujours là.

C’est une quête infinie et nous le savons. Et parce que nous le savons, nous persistons. Que fait le personnage lorsqu’il tourne le dos à la fin du roman ? Et qu’en dit le poème qui ne se suffit jamais d’exister, ne finit jamais de se recomposer ?

Le poème comme le roman nous donne rendez-vous. Combien de poètes, combien d’écrivains ont écrit dans l’urgence, qu’elle soit intime ou partagée ?

Dans une ancienne édition d’un « Choix de poèmes » d’Emile Verhaeren, paru au Mercure de France, un lecteur a transcrit, en pleine débâcle de Noël 1941, ce vers du poète flandrien, tiré de La multiple splendeur : « Aimer avec ferveur soi-même en tous les autres »

En somme, il réécrit avec fièvre ces mots qui prennent tout leur sens.

L’écriture s’impatiente, elle renoue, elle se prolonge, elle veut nous séparer de la mort.

Les écrivains, les poètes ont tous connu cette tentation de ne pas mourir. Ils écrivent pour être entendus. Et même s’ils échouent, il leur est si beau de l’ignorer car tout recommence à chaque fois sans souci de la fin.

Ecrire dans son lit ou sous la mitraille comme Apollinaire, mais écrire, se sentir vivant.

La littérature est faillible et cet écueil lui donne sa raison de vivre.

 

Patrice Dufetel ©