Sur la poésie

 

 

Ah ! La poésie. Que de fois elle a enflammé mon esprit ! Que ne m'a-t-elle pas fait écrire durant ma jeunesse avide d'expériences de toutes sortes ! Qu'est-ce qui entraînait en moi ces poussées volcaniques de mots ? Un idéal de beauté, sans doute, en rapport avec des situations vécues ou rêvées. Il me fallait les transcrire et les relater avec le plus de brio possible. Un désir d'exploration et de connaissance de soi courait à travers mes différentes techniques d'écriture automatique. En chaque homme il y a un océan peuplé d'images fantastiques, mais bien peu s'attachent à les faire remonter jusqu'à leur conscience. Je confesse aussi une pointe de rivalité avec des poètes admirés et consacrés que je cherchais ainsi à rejoindre, même sans songer à les égaler.

 

Plus de quarante ans après, que reste-t-il de toutes ces orgies mentales ? Des poèmes, bien sûr - plusieurs centaines certainement – publiés en revues ou en plaquettes, voire éparpillés maintenant sur différents sites Internet. Des poèmes en vers libres, rimés ou en prose, inégaux en qualité et en longueur dont je ne saurai trop quoi dire, sinon qu'ils demeurent la trace de ces moments exceptionnels où l'inspiration stimulait – mais peut-être était-ce le contraire ? - la volonté d'écrire vite et bien. Cela n'excluait pas ensuite un travail minutieux d'arrangement, voire de réécriture; car il est rare qu'on puisse être pleinement satisfait de ses premiers jets.

 

De tout cela j'ai au moins acquis la certitude qu'il n'y a pas de poésie sans une libération, en soi-même, du langage. C'est lorsque les mots, dégagés de toute nécessité informative, arrivent en ribambelle sur la page blanche qu'ils prennent toute leur saveur et leur singularité. Surtout il n'y a pas de poésie sans poème, quand bien même nous parlons tous de poésie pour désigner certains instants merveilleux de l'existence. Sans l'écriture, ces sensations délicieuses, ces impressions idylliques s'effaceraient rapidement pour laisser la place à d'autres images, d'autres représentations.

 

Mais si le poème est un genre littéraire en soi, s'il fut à l'aube de l'histoire humaine le véhicule de toutes les émotions et de tous les savoirs, il ne l'est plus aujourd'hui, supplanté par d'autres supports d'expression, d'autres formes d'imaginaire. Loin de le dévaluer, cette situation le rend encore plus précieux lorsqu'il advient sans crier gare, ou qu'il affleure, comme l'écume de la vague, dans un texte en prose particulièrement réussi. En cela la poésie reste toujours le maître-étalon de la littérature.

 

Jacques Lucchesi ©