Les Editions Sans escale par Valéry Molet

 

Qu’est-ce que la poésie ? J’ai rédigé une dizaine d’articles pour une dizaine de revues et, à chaque fois, ma réponse est différente. Parfois, je n’en sais rien. Parfois, après quelques verres, il me semble qu’elle sera l’avenir du bric-à-brac littéraire, soustraite au bazar romanesque, augmentée d’une forme de cynisme innocent car dénué de tout appareil dentaire ou critique.

Dans l’absolu, il m’arrive de croire que la poésie a déjà disparu et qu’elle dépendait largement de notre sortie de grotte. Lorsqu’on considère les poètes comme des tailleurs de silex, même biface, on aspire simplement à leur extinction : les vers sentent souvent la peau de bête et le brasier mal éteint. Plus fanatiquement, et en totale contradiction avec ce que je viens d’affirmer, la poésie pourrait être l’image inversée mais cousine de l’abstraction philosophique, loin du lyrisme éberlué et du bêlement antimétaphysique. Pourtant, combien de fois ai-je ri devant la prétention de ceux qui se croient poètes et philosophes ?

On ne devrait pas être sérieux lorsqu’on écrit, surtout après dix-sept ans. L’uniforme contrebalance toujours l’hémistiche. Il faut s’opposer à la poésie en monocle, acheté dans une brocante, de même qu’il est souhaitable d’ignorer la littérature au coin du feu, qui conduit toujours à bouder son plaisir. Les beaux textes ne gardiennent rien, même si, de temps à autre, on retrouve un bout de phrase coincé sur le croc d’un chien mauvais : il existe des vigiles incapables qui ne différencient pas la liturgie de la haine de l’ordre de l’amour.

Heureusement, la littérature échappe simultanément à l’ennui des questions sociales, au krach du journalisme objectif télescopant la postérité qui est une autre manière de « parler aux asticots ». La poésie est toujours « abandonnée comme une hypothèse » comme le dit Aragon. Elle a l’allure d’une cabine d’essayage où les vêtements sont toujours inactuels, entre le pourpoint et la combinaison fluorescente.

C’est cet état d’esprit, à la fois confus et précis, qui guide les Editions Sans Escale. Ses auteurs ne sont ni des revenants ni des échappés du bagne, parfois ils ont une activité salariée. Ils écrivent, et c’est assez monstrueux comme cela.

 

La poésie – on peut le déplorer – est comme Dieu : on ne la définit que de manière apophatique. On sait ce qu’elle n’est pas et on ignore ce qu’elle est. En ce sens, elle s’oppose au « canot de la vie quotidienne ». Maïakovski en disserte encore avec son revolver. 

 

Valéry Molet est écrivain. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages de poésies, romans, nouvelles et essais. Il collabore à de nombreuses revues. Il préside également les éditions Sans escale (www.sansescale.com). Enarque, il est haut fonctionnaire. Il vit et travaille à Paris.