Huiles : Les Sables d'Olonne
Alors que le "Kifanlo" est rentré au port, sur le remblai la foule défile le long de la plage. Au loin, derrière le casino, le port de pêche est immuable. Les passants marchent vers l'ouest, du sable sur les pieds et le sac en bandoulière. Un vent tiède vient du large. Pendant que certains s'amusent, les autres travaillent. Etre marin est un dur métier, mais c'est un peu la liberté. "De toutes façons, il n'y a plus de poisson", me disait-on !
Le but de la peinture pourrait être de communiquer une émotion. Ces trois restaurants ne font rien resurgir des sentiments qui ont été les miens. Plutôt il y a une absence, un vide qui s'exprime par l'absence de personnage. Le monde se contente d'être ce qu'il est, fuyant et immuable. L'esprit peut ne pas être présent au monde. La mélancolie guète.
Deux touristes, vus de dos, assis sur un banc, regardent vers les chantiers. L'eau est turquoise. Le ciel a le cafard. Que voient-ils réellement ? Je me contente d'observer la scène, extérieur à leur esprit, moi même contemplatif. J'essaie de deviner leurs pensées. Pouvoir du peintre que de s'extraire ainsi du réel. Toute peinture est représentation.
Mon goût pour les lieux déserts me rattrape rapidement. Je n'aime pas peindre le corps humain. Il est trop difficile de savoir ce qui se passe dans la tête des gens. Ici, je suis seul avec moi-même.
Vraisemblablement, des clients viendront ce soir au restaurant. Peut-être moi aussi serai-je à une table voisine. Mais mon esprit est ailleurs. Définitivement ailleurs.
La stabilité des bateaux de pêche m'attire. Tout semble si calme au port. Les fanions volent dans le vent. Les mouettes tournent autour des mâts. Sur le chenal, le "Kifanlo" s'en va au large. Cette ronde m'apaise. J'y trouve de la sérénité. Tout cela me vient de mon enfance. Et puis, la vie n'est-elle pas un éternel départ ?
Quand la foule devient trop pressante, j'aime penser à l'idée que je serai bientôt seul. J'ai beau être habitué à cet endroit, y avoir ma place, j'aime surtout me promener seul sur le port de Bourgenay. Et puis, quand la solitude devient trop présente, j'aime me recueillir dans le petit jardin. Là, il y a des fleurs, des chats, le potager, les figuiers... J'ai besoin de cette sérénité pour peindre, ou tout simplement pour réfléchir, me sentir bien et en paix.
Je n'ai pas envie de savoir ce qu'il y a ailleurs, je préfère être dans cet ailleurs. Indépendamment de ce qui se passe dans notre tête, le monde existe, il est là, à chaque instant, grouillant, rapide, sans fin. La barque bleue pourrait peut-être nous emmener vers cet ailleurs, nous déposer sur une île. Mais elle est là sur les pavés, à l'abandon. Les gens passent sans s'en apercevoir. Deux personnages énigmatiques.
Sur la plage, le ciel a de multiples couleurs selon la direction vers laquelle on tourne les yeux. La cabane est un bar à boissons sans alcool, on y vend glaces et beignets. Les dernières tempêtes hivernales ont modifié la dune. Les touristes pourront-ils quand même poser leur serviette sur le sable en été ?
Tout petit, j'ai vu la construction du port de Bourgenay. J'ai fait plusieurs versions de ce phare et je ne m'en lasse pas. Ici, c'est un peu le bout du monde. La plage du Veillon s'étend dans le lointain. Le gréement à la voile rouge vient du port de plaisance des Sables d'Olonne. Le bateau à la coque turquoise est de Bourgenay. Nous n'avons qu'une vie pour assimiler tout un monde. Nous sommes des éternels voyageurs. Vivre, c'est peut-être se confronter à des questions impossibles, c'est pouvoir aussi s'en extraire et les dépasser.
De la capitainerie, du port, on voit cet étrange tour. Est-ce un passage entre le continent et la mer qui s'ouvre à travers la nuit pour guider les navires ? Est-ce un fantôme dressé vers le sud ? Le port est protégé des fortes houles par d'immenses rochers. Au-delà, la mer est libre de toute agitation.
Ces fanions jaunes au vent sont de l'"Etoile filante". Personne ne peut attraper une étoile filante... Il n'y a que le peintre pour pouvoir en forger une représentation. C'est son métier, c'est sa peine à perpétuité. Le peintre cherche le beau, parce que c'est la seule chose qui puisse encore le faire tenir debout.
J'aime faire des gros plans sur les chalutiers qui sont pour moi un sujet obsessionnel. Celui-ci a la coque jaune-orange. Les pinceaux du peintre sont ses armes pour la vie.
Quels que soient les drames de la vie, le peintre a pour motivation d'embellir la réalité. Mes peintures ne sont pas de simples copies. Non plus, je ne suis pas artiste. Je tente une représentation fragile de la réalité. L'artiste travaille les sentiments et la représentation d'une même manière. Moi, peintre amateur, je me contente de ressentir une émotion. Parfois, il n'en ressort rien, ou de la douleur, d'autres fois la peinture a été le prétexte à cette émotion. Mes peintures sont tristes ou gaies, noires ou lumineuses, sombres ou colorées parce que je suis exactement de cet état. Il n'y a aucune recherche théorique dans ce que je peins. Je peins, tout simplement.
Le temps est ce qui nous sépare d'un au-delà éternel. J'ai traversé de sombres années, j'aurais pu ne pas me relever. Mais avec le temps... la douleur s'estompe. On n'oublie rien, non. Plutôt, certaines cases finissent par s'imbriquer entre elles. On rêve d'un Eden en sachant que c'est impossible. Les idoles s'effondrent, il ne reste qu'une statue continuellement refaite et réparée. Pouvoir ouvrir la dernière porte debout et le moins possible ereinté.